12h, depart de la chiva. Enfin, en théorie, parce qu'étant donné que nous sommes en Colombie, il faut compter une bonne demi-heure de retard. Ça tombe bien, on est à la bourre avec Rosana. 

La chiva c'est un bus/camion bien haut sur roues dont la moitié avant est dotée de banquettes et la moitié arrière, rien à part un poteau central. Dans les lieux touristiques, les chivas sont des bus permettant de visiter, musique à fond et en dansant. Ici, c'est le bus qui monte dans les montagnes et l'espace dansant devient le coffre rempli de vivres pour les habitants des hauteurs. Là-haut, bien sûr, il n'y a pas de magasins.

Après environ une heure et demi de route très inconfortable, nous arrivons au bout du chemin, face à l'école d'El Esmero. La chiva fait pile la largeur de la route, entre la montagne et le ravin et, malgré les amortisseurs, l'état du chemin nous fait sauter dans tous les sens. Notre sac d'oignons qui ne fermait pas nous aura bien faire rire ainsi que les autres passagers qui, jusqu'au dernier moment, nous ont fait passer des oignons depuis l'avant de la chiva. 

À partir de l'école, il nous faut monter à pied par un petit sentier durant une quinzaine de minutes. Nos gros sacs à dos sont plein de maïs, oignons et autres denrées en plus de nos affaires pour quatre jours ; on le sent bien dans les mollets. 

Nous arrivons chez Maria nous accueillant chaleureusement pour ces quelques jours. Deux de ses enfants et petits enfants sont là aussi, tous affairés à repeindre la maison et la nettoyer. Petite maison aux sombres murs de parpaings nus, durs et froids, contrastant avec le joli toit aux planches de bois manquantes et avec les nombreuses fleurs autour de la maison. Nous sommes à environ 1400m d'altitude. La vue sur la vallée est superbe. Les montagnes verdoyantes sont remplies de plantations de café principalement mais aussi de bananes et de canne à sucre. Le Rio Frio se faufile en bas de la vallée, et son chant se fait entendre jusqu'ici. 

Nous faisons connaissance autour d'un "tinto" (café sans sucre ni lait) que je ne sais refuser, par politesse. Lorsqu'ils affirment que c'est le meilleur café du monde, j'ose dire que "j'espère, parce que normalement je n'aime pas trop le café..." Tout le monde ouvre de grands yeux, "mais pourquoi ?" Ici, même les enfants très jeunes apprécient le tinto. 

Alors ce café ? 

Délicieux. C'est bien la première fois que j'aime ce breuvage.

Nous passons le reste de l'après-midi à nous baigner dans la rivière avec Nicole et Adolfo, les petits-enfants de 12 et 14 ans. Pour descendre jusqu'au Rio Frio, nous dévalons la montagne à travers les plants de café, en essayant de suivre le rythme des enfants, apparemment bien habitués à cette marche chaotique. 


Le lendemain, après une calme et complète nuit de sommeil, sans 40 chiens aboyant vers minuit, puis deux heures, puis cinq heures, nous nous rendons chez les voisins pour apprendre à faire la panela. Il faut marcher dix minutes par l'unique sentier de pierres grimpant à travers la montagne.

Nous sommes accueillies par Nancy, son fils et sa femme avec leurs trois enfants. Mavel et Jon, les deux plus grands (13 et 14 ans), travaillent avec leur parents depuis déjà quelques années. Ici la journée a commencé depuis 6h du matin.

Une fois les cannes à sucre coupées et ramenées jusqu'à la maison, elles sont écrasées par la meule d'où sort directement le jus de canne, que nous goûtons bien évidemment. Un régal. 

Puis, le jus est chauffé dans des grandes cuves, dont le feu est alimenté par les cannes précédemment pressées et séchées.

Après avoir mijoté quelques temps, nous pouvons savourer la "agua de panela" encore brûlante, rappelant éventuellement un thé très sucré. 

Encore quelques heures plus tard, le liquide bout et forme de grosses bulles jaune foncé, et nous pouvons découvrir ce qui s'appelle "la miel". Devenu plus épais, le jus de canne ressemble maintenant effectivement beaucoup à du miel, autant par sa texture que par son goût. À ce stade, je commençais à être écœurée et j'ai partagé ma tasse de miel chaud avec Hélène, la petite d'un an et demi. 

Ensuite, petit à petit, on sort de grosses louches du liquide bouillant dans un long récipient en bois, en mélangeant énergiquement jusqu'à ce que cela blanchisse légèrement et se densifie. Cela ressemble à du caramel.

Le liquide maintenant très épais est enfin prêt à être versé dans des cases en bois pour se solidifier en refroidissant et ainsi prendre sa forme de vente. Listo ! 


Mardi 19 décembre, c'est le jour de la fête ! Toute l'asso Cantoalavida nous rejoins à El Esmero pour cette journée spéciale organisée pour les enfants. 

Nous descendons une heure avant pour préparer l'école, nettoyer et organiser. La chiva arrive avec du retard, des cadeaux, les autres volontaires, une grande paëlla végane pour le déjeuner, et des musiciens ! 

Nous échangeons sur nos vies et cultures avec les enfants et parents présents, nous partageons l'énorme et délicieuse paëlla, nous célébrons les anniversaires récents et dansons au rythme des quatre musiciens. Puis vient l'heure des cadeaux et nous faisons la distribution ; des jouets, crayons et autres pour les plus jeunes, l'uniforme pour l'école, des chaussures à la pointure de chacun, un sac à dos remplit de cahiers, trousse, crayons et autres matériels scolaires pour les plus grands. Les familles sont pauvres et même en travaillant dur dans l'agriculture, elles n'ont pas les moyens d'acheter tout ça pour leur enfants... Beaucoup sont émus et font de beaux discours. Gloria, à l'origine de l'association, dit également quelques mots pour remercier chacun de sa présence, et rappeler aux familles que les enfants ont droit à leur jeunesse. Pour la plupart, ils commencent à travailler très tôt avec leurs parents.

Avec Rosana, nous disons au revoir à tout le monde un peu en avance car nous souhaitons redescendre la montagne à pied. Nous partons le cœur plein d'amour pour chacune de ces personnes. Nous avons tellement reçu pendant ces quelques jours. Une réelle immersion dans la vie agricole colombienne, rustique, dure, authentique. Les enfants achèvent de nous mettre les larmes aux yeux en nous rejoignant en courant sur le chemin...

L'énergie si spéciale d'El Esmero nous aura envoûtées.

Et ce paysage sublime qui nous accompagne jusqu'à Campoalegre.

J'en ai mal aux zygomatiques d'avoir tant souris aujourd'hui.

Merci. :)