Flo : Une 20aine de jours en pleine mer nous attendent et la 1ere semaine est plutôt mouvementée. Un vent de plus de 25 noeuds (50km/h) et une houle de 3m. On est malades tous les deux et les cachets ne font pas vraiment d'effet. Même notre capitaine ne se sent pas bien. Impossible de cuisiner par cette météo, on mange des plats préparés.


    Gwen : La première semaine passe difficilement. Flo vomi souvent. J'ai tout le temps mal à la tête. Du réveil au coucher. La migraine la plus longue de ma vie. Plus d'une semaine. Plus ou moins forte par moment. Souvent, après manger, j'ai quelques minutes de répis où elle s'adoucit. Les trois premiers jours, je n'ai mangé que les repas de midi. Enfin repas... Quelques bouchées de taboulé plutôt. Pareil pour Flo, à qui il fallait un temps incroyablement long pour finir son assiette. Le soir, j'étais incapable de me relever, mon cœur battant trop fort dans mes tempes, mon front, mon nez, attendant la nuit pour enfin reposer mes yeux dont les nerfs étaient comme des poignards. Dormir. Dormir et demain, la migraine sera passée. Raté. Ça bouge trop. Ma tête ballotte dans tous les sens quand je suis allongée. Et elle est tellement lourde que je ne peux pas être autrement qu'allongée. J'aurais besoin de dormir 10h d'affilée, dans le noir, la fraîcheur et le silence. Impossible.


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    "Manger, dormir, regarder les dauphins, manger, dormir..." Patrick

    "Qu'est-ce qu'on dort sur ce bateau !" J-Lo

Même notre Capitaine est malade. La houle est haute, incessante. Au moins on avance bien, on fait du 8 nœuds ! Le vent souffle parfois jusqu'à plus de 30 nœuds (avec une pointe à 38 !) mais la plupart du temps, oscille entre 18 et 25. Il appuie fort sur le génois (voile de devant) et fait pencher le bateau. Les vagues cognent la coque et s'éclatent parfois sur le pont. Par surprise. Chacun d'entre nous a eu l'expérience d'au moins une grosse douche salée. Et à 4h du mat', je peux vous dire que ça réveille !


    Flo : Ça bouge toujours autant dans ma tête et je continue de vomir. Je reste assis dehors à prendre l'air frais et mes cachets contre le mal de mer. Ça fonctionne plus ou moins bien. Je me force à manger car je n'ai pas faim. Chaque geste quotidien est une épreuve sportive. C'est comme ça pendant une semaine, jours et nuits... Puis mon corps s'habitue au mouvement de la houle qui d'ailleurs est plus calme. Et je reprends plaisir à manger :)


    Gwen : À table, il faut tenir les assiettes, couverts, plats... tout glisse. Pour aller au toilettes c'est l'épreuve ultime. Il y fait une chaleur étouffante et les dix pas pour s'y rendre ressemblent à ceux de quelqu'un au bord du coma éthylique. Prendre une douche est aussi très compliqué et l'on peut s'estimer chanceux si l'on s'en sort sans bleu.


    Au bout de cinq ou six jours, la houle se calme enfin. Nous avançons toujours bien, la plupart du temps à 6 nœuds. Ça bouge moins, mais ça bouge quand même. Les gestes quotidiens et déplacements restent difficiles à accomplir, quoiqu'un peu moins périlleux que la semaine passée.


    Flo : La vie sur le voilier devient plus agréable. Généralement après notre quart, nous nous recouchons quelques heures. Après le déjeuner préparé par notre Capitaine J-Lo, Gwen devore les bouquins de la bibliothèque alors que je surveille, dans mes pensées ou sur un fond de musique, la lente progression du voilier sur l'eau. J’ai plein de documentaires Arte sur mon téléphone mais je ne peux pas regarder l'écran sans avoir mal au cœur. Du coup je les écoute sans image. Gwen joint ses écouteurs pour suivre les reportages Tistrya qui remontent bien le moral :)

Il a toujours quelque chose à faire : raccrocher une écoute rompue (corde amarrée à la voile), réparer la trinquette (petite voile), bricoler la manette d'embrayage, revisser la barre, nettoyer le bateau,... On peut aider J-Lo et Patrick mais l'espace est réduit sur le voilier et généralement ils bricolent juste tous les 2. On ne dirait pas, mais il y a de l'activité sur un bateau !


    Gwen : Je vais mieux. Ma pastèque de tête m'offre quelques jours de répis. Toujours obligée de vivre allongée cela dit. Un jour où il commençait à faire bien chaud, la tête en feu, j'ai essayé de me mettre à l'envers dans le lit, histoire de sentir un peu plus d'air sur mon visage. Mauvaise idée. Ce fut mon seul vomi. C'est comme en train ou en bus, j'ai un mal fou à être dans le sens inverse de la marche.


    Maintenant j'arrive à rester en bas le temps d'une vaisselle. Je peux lire aussi. Et qu'est-ce que je lis ! Je dévore. Cinq mois sans livre en même temps, je me dois bien ça. Il n'y a pas grand chose d'autre à faire non plus. Écouter de la musique. Pink Floyd se marie d'ailleurs parfaitement bien avec un océan et son horizon. Jouer à la bataille navale (on oublie les jeux de cartes, elles s'envoleraient). Écouter des documentaires, les regarder étant encore difficile.


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    Avec la voile, on glisse, on vole. Avancer uniquement grâce aux éléments naturels est incroyable. Nous sommes entièrement à leur dépend.


    Le paysage est superbe. C'est pourtant toujours de l'eau, des vagues à perte de vue. Mais j'ai l'impression d'être au milieu d'une toile où le peintre choisirait, selon son humeur, un ciel plutôt bleu, gris, parsemé de nuages, rougit​ par un soleil couchant, rosé par un soleil levant, noirci par la nuit, éclairé par la lune, les étoiles, la voie lactée... Les couleurs de l'océan s'y accorderaient et se teinteraient de bleu profond par un ciel dégagé, turquoise sur le dessus lorsqu'un rayon de soleil les traverse, de vert lorsque le ciel est gris, de reflets cuivré lorsque le soleil est bas, de bleu encre pendant la nuit...


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    Je suis dans une camionnette de police. On roule à toute vitesse dans des champs gorgés d'eau. Le véhicule est secoué dans tous les sens, l'eau glisse sur ses vitres. Nous arrivons à l'orée d'un bois. À partir d'ici et pour la fin du trajet, je vole derrière une jeune femme. J'ai envie de lâcher les mains et de crier "yahooooo" mais elle me dit de ne pas le faire, je risquerai de tomber. Nous nous enfonçons doucement dans la forêt, passant entre les arbres, sous leurs branches, entre des lianes... J'aperçois la cabane du moine tibétain à qui j'avais rendu visite quelques heures plus tôt. Ses mots me reviennent et je pressens ce qu'il va se passer.


    "C'est l'heure !" lance J-Lo sur le pas de la porte. Réveil brutal. Il est 4h. Il fait une chaleur étouffante. Dehors il fera plus frais. J'habille mon corps moite et engourdi de sommeil en essayant de me souvenir au maximum de mes rêves. On rêve énormément sur le bateau. Surement parce qu'on se réveille plusieurs fois, à cause du génois sorti ou rentré, du bruit répétitif des vérins du pilote automatique, d'un coup de genou dans le mur ou le voisin lors d'une grosse vague... L'esprit s'accorde et rêve en mouvement lui aussi. On se retrouve alors dans un train, une voiture conduite dangereusement, menant jusqu'à l'accident pour Flo, ou bien sur des montagnes russes pour moi...

    Le ciel est rempli d'étoiles et le plancton, remué par l'écume, caresse toujours la coque du bateau. C'est souvent difficile de se lever à cette heure-ci, mais une fois sur le pont, la splendeur de la nuit océanique fait s'envoler toute fatigue. Quart parlé passe très vite, quart silencieux plus ennuyeux et le sommeil nous gagne facilement.

    Toutes les nuits, des poissons-volant s'échouent sur le voilier. Ceux qui arrivent près de nous se voient gentiment sauvés et remis à l'eau, les autres sont considérés comme suicidés. Il est trop dangereux d'aller à l'avant la nuit, passer par-dessus bord ne pardonnerait pas.


    Flo : Grâce au téléphone satellite de J-Lo, nous recevons les prévisions météo sur 1 semaine. La période cyclonique a débuté en juin et déjà 2 cyclones ont traversé l'Atlantique à partir du Cap Vert. Une perturbation est en formation et doit croiser notre chemin alors que nous sommes au beau milieu de l'océan. Nous connaissons la prévision de sa trajectoire et décidons de changer de cap pour l'éviter. Le cyclone est dans nos esprits pendant une bonne semaine. Au final, plus de peur que de mal puisqu'il s'essouffle et disparaît. Par contre un nouveau cyclone doit passer au dessus des Antilles (Saint Vincent -> Martinique). Nous allons nous protéger dans les îles Grenadines où les vents sont plus calmes. C'est l'occasion de découvrir les îles des Antilles !


    Gwen : Dernière semaine. Nous avons une idée plus exacte de la date d'arrivée et c'est chouette. Nous sommes obligés de faire du moteur sur la fin car le vent a cessé et nous progressons sur une eau très lisse. Nous avons hâte de nous baigner ; la chaleur est insoutenable depuis plusieurs jours. On étouffe en cabine et on crame en extérieur. Je rêve de gâteau au chocolat, de sable, de terre et d'arbres.


    Finalement, ça passe vite trois semaines en mer à ne rien faire. Je suis infiniment reconnaissante, incroyablement heureuse, inespérément enrichie... et prête pour la traversée du Pacifique !


    C'était si fort, ce n'est pas facile de transmettre tout ce que l'on peut ressentir au cours d'une pareille aventure. J'espère vous avoir fait voyager un petit mille ou deux ou mille avec nous et vous donner envie de tenter l'expérience. Dans tous les cas je suis contente d'écrire nos histoires pour vous les partager. Merci de nous lire. Merci de nous suivre !