Flo : Nous faisons le plein de gasoil (0.60€/L) et prenons la direction des îles Canaries. Après quelques heures de navigation, la terre disparaît à l'horizon. Nous naviguons 24h/24, la nuit on se relaie pour la surveillance. Avec Gwen, notre quart est de 4h à 8h. Le voilier glisse sur le plancton phosphorescent, les étoiles brillent par milliers et nous avons la chance de voir à la fois le lever de la lune, puis celui du soleil. L'océan est féérique la nuit ! Et en journée, les dauphins nous offrent un spectacle quotidien. La nature est vraiment belle :)


    Gwen : Terre en vue ! Nous débarquons sur l'île de la Graciosa après une petite semaine de navigation. Le paysage est entièrement nouveau pour moi. Toutes les îles sont volcaniques et, par ici, complètement désertes. Pas la moindre verdure. Pas d'ombre.

    Nous mouillons aux côtés de deux autres voiliers, dans une eau turquoise dont nous voyons le fond, les poissons, les rochers... Le sable jaune pâle borde l'île, puis les anciennes coulées de lave aux couleurs gris, marron et ocre s'étendent jusqu'au volcan. Nous les empruntons avant de rejoindre un petit sentier menant jusqu'au sommet. Je me sens toute chose sur cette terre si dure, si stable.

    À mi-chemin, alors que nous avançons sur de la caillasse de plus en plus friable et glissante, je réalise que le seul bruit, c'est ma voix, racontant encore mille et une histoires auxquelles Flo a toujours la gentillesse de s'intéresser.

Je me tais. Silence.

    Un silence tel que je n'en ai jamais entendu. Un silence sans vent. Un silence d'un contraste saisissant d'avec le bruit incessant du voilier (même sans moteur) que nous connaissons depuis une semaine, 24h/24. Un silence face à un océan dont même les vagues et les mouettes se taisent. Un silence respecté et écouté. Un silence pur. Reposant et bienveillant. Un silence assourdissant. Étourdissant. Imposant. Un silence qui prend aux tripes car le volcan semble l'entretenir depuis des siècles. Un silence de sommeil profond. Là où le temps est suspendu. Là où le temps n'existe plus.


    La vue d'en haut est tout aussi surprenante. Nous en profitons un moment et prenons quantité de photos en nous amusant à sauter. De vrais gosses. Il ne faut pas s'approcher trop près des bords car la pente est raide et très glissante.

Le volcan a dû nous prendre en sympathie car il est demeuré endormi alors que nous foulions ses courbes et brisions son silence en rigolant comme des baleines !

    Nous finissons en courant pour arriver le plus vite possible dans l'eau fraîche. Il est à peine 11h et le soleil tape lourdement depuis longtemps déjà.


***


    Le lendemain matin, nous arrivons à Las Palmas, Gran Canaria. Avec Flo, nous partons faire le plein de bouteilles d'eau pour la traversée.

    J-Lo doit faire vérifier le mât pour l'assurance qui demande des papiers. Les gars viennent donc dans la matinée. Avec un baudrier, il y en a un qui monte au mât, les deux autres assurent au niveau des drisses (cordes), le hissent ou le descendent. Inspection à la loupe pendant plusieurs heures. Tout va bien, sauf un tout petit fil d'un des câbles qui est cassé. Aïe. Il faut changer tout le câble. Nous n'étions pas là mais lorsqu'ils l'ont enlevé, le mât s'est complètement tordu. "Le voyage a failli s'arrêter là" nous a confié J-lo après avoir eu une sacrée peur pour sa maison ! Nous sommes bloqués ici une journée de plus le temps qu'ils finissent les réparations. Je dis "bloqués" parce que c'est vraiment comme ça que l'on se sent. Las Palmas est une grosse ville, la capitale d'une île certes, mais capitale quand même. S'y balader à pied n'est pas franchement agréable. La partie portuaire de l'île n'est pas non plus très enivrante. Et puis nous avons juste hâte de commencer la traversée !


    Jeudi 22, les réparations sont enfin terminées. Heureusement, parce qu'autrement, nous aurions dû attendre samedi. "Le vendredi ça porte malheur" a dit notre Capitaine, "on ne part jamais un vendredi". Et on ne déconne pas avec la chance quand on se lance dans une trans-Atlantique. Il vaut mieux l'avoir de son côté. Nous partons donc jeudi après-midi, une fois les papiers envoyés à l'assurance et le bateau nettoyé. J'aime bien le jeudi. C'était mon jour préféré de la semaine quand j'étais petite. Le jeudi. Maman ne travaillait pas l'après-midi. Alors je rentrais manger à la maison avec elle. Petits pois carottes. C'était "nos petits jeudis midis". Et c'était bien. Jeudi, pour moi, rime avec carotte et joie. C'est parfait de partir un jeudi.